Thierry Fournier, 2009
Conférences du dehors est une série de sept performances à installer partout, chacune d’entre elles abordant, sous des angles différents, la notion de « dehors ». Le terme est large, et j’ai souvent entendu des propositions pour le qualifier d’une manière plus concrète, mais je tiens à cette vacance, à cette ouverture. Je tiens aussi au fait que c’est dans leur expérience que ces sept performances qui abordent des situations très différentes (médiatiques, politiques, intimes, collectives, fictionnelles) dessinent d’elle-mêmes un paysage, une pensée, une proposition.
La relation entre le dedans et le dehors, la notion d’accès (aux richesses, aux frontières, à l’image, au travail, à la parole) traverse toutes les situations contemporaines ; elle concerne à la fois le politique et l’intime. Le libéralisme généralisé n’offre plus de possibilité de se tenir en dehors de sa logique. Seule demeure possible une gradation dans l’intégration – ou, selon les points de vue, la résistance – des individus et des États. Ce système repose de façon croisssante sur la notion d’accès, qui a supplanté progressivement la propriété comme enjeu discriminant. « La logique de l’accès est désormais considérée comme la porte ouverte au progrès et à l’accomplissement personnels ; elle incarne aux yeux des générations contemporaines ce que la démocratie représentait pour les générations précédentes » (Jeremy Rifkin). Le paradoxe et la conséquence de ce « monde sans dehors » est que la notion même de dehors est devenue omniprésente et fractale, c’est-à-dire constante à toutes les échelles. Elle renvoie simultanément aux relations entretenues par les personnes avec leur milieu, leur histoire et la société ; aux fictions, mythes et fantasmes véhiculés par l’imaginaire collectif ; aux enjeux politiques des états : mondialisation, conflits et politiques liés à l’immigration, conséquences et reliquats du colonialisme, etc. J’ai choisi d’aborder cette question à travers une proposition délibérément restreinte, qui nous ferait toucher du doigt non pas son étendue, mais sa qualité de prolifération et de circulation entre plusieurs domaines : politiques, fictionnels, et intimes.
Toutes ces performances développent une relation avec le dehors, et la déploient dans une écriture et avec un dispositif spécifique. Si elles étaient des récits, elles évoqueraient des voix : certaines ont essayé d’entrer, d’autres défendent ou éprouvent des frontières, sont dehors et le décrivent, certaines défendent un territoire ou viennent de disparaître… L’ensemble est porté par la même interprète, Emmanuelle Lafon, qui est actrice et qui a bien voulu jouer le jeu d’un projet exporant les limites entre les arts plastiques, la performance et le théâtre.
Les dispositifs sont minimaux et transportables : télévision, table de conférence, ampli, ordinateur portable, polystyrène… Du fait de la légèreté de ces dispositifs, chacune de ces performances (et j’y reviendrai en parlant des répétitions et des représentations) peut être travaillée, développée et présentée indépendamment.
L’un des objectifs de Conférences est également d’investir des espaces dont la qualité et la localisation interrogent également la notion de dehors : extérieurs, lieux publics, écoles, espaces théâtraux résiduels, appartements… Chacun de ces espaces est sollicité dans sa capacité à devenir un lieu de représentation temporaire. La forme des interventions se précise donc selon les lieux, à la dernière minute : la légèreté de l’ensemble permet une installation quelques heures seulement avant la représentation, en prenant en compte très rapidement les caractéristiques du lieu.
L’interprète navigue entre le statut d’un conférencier ou d’un médiateur, et celui d’un acteur, en éprouvant des statuts variables : distance, immersion, interprétation, conférence, commentaires. Les spectateurs partagent le même espace que lui. L’extérieur intervient régulièrement : par la télévision, le son, le dispositif lui-même.
Conférences se développe selon un principe de curatoriat. A l’exception d’un seul épisode qui travaille avec le flux de la télévision en temps réel, chaque épisode donne lieu à l’invitation d’un artiste ou auteur à qui j’ai proposé de collaborer sur l’écriture. La liste actuelle des épisodes est un point de départ, qui pourra évoluer au fur et à mesure de ces collaborations. Ils n’ont pas d’ordre, et leurs titres sont encore temporaires. Le ou les lieu(x) qui accueillerait la création ou les représentations de Conférences pourra donc moduler, en collaboration avec l’équipe de création, les deux niveaux qui composent le projet : le choix et le nombre des épisodes qui seront travaillés et/ou présentés, ainsi que le choix du (ou des) espaces qu’il-elle souhaite investir, en un lieu fixe ou dans un parcours, intra ou extra-muros.
Ce projet s’inscrit dans une démarche d’interrogation sur les relations possibles entre projets en art et spectacle vivant, qui porte notamment sur l’évolution des statuts respectifs de l’interprète et du public : mise en scène du spectateur, dispositifs interactifs, écriture de processus. Conférences convoque des codes appartenant aux domaines des arts plastiques et du théâtre (récits, dispositifs, interprète, temps et lieu de la performance), et les questionne à partir du dehors : sources hétérogènes, pluralité de prise en charge, incarnation interrogée, espaces non scéniques, implication des spectateurs. Enfin, Conférences est par définition un projet non clos. De nouveaux épisodes / situations seront créés au fil du temps et des contextes, inventés avec de nouveaux interlocuteurs (institutions, artistes, auteurs, chercheurs…) souhaitant poursuivre avec nous cette investigation sur les notions de territoire et d’accès.