Texte publié en accompagnement de l’exposition Faire Chantier, CAPA, Aubervilliers, 2017, commissaires Juliette Fontaine et Isabelle Lévénez, avec Bernard Calet, Isabelle Ferreira, Thomas Guyenet, Claude Lévêque et Benjamin Sabatier.
Faire chantier, hors des lieux d’exposition habituels ; inviter six artistes dont les pratiques se confrontent radicalement aux espaces et aux lieux ; le faire avec attention dans un quartier fragile, en relation étroite avec ses habitants et son quotidien ; déployer cette proposition dans un appartement HLM en interrogeant notre capacité à transformer le réel : tels sont les points de départ de cette exposition, emblématique à de nombreux égards de la démarche du Capa – Centre d’Arts Plastiques d’Aubervilliers.
Les co-commissaires Juliette Fontaine et Isabelle Lévénez présentent ici dix-sept œuvres de six artistes : seize d’entre elles choisies pour leur résonance forte avec ces idées et une création in situ. Bernard Calet déploie cinq installations qui constituent autant de dispositifs potentiellement en transformation, associant matériaux bruts de construction et signes de la modernité. À travers ses paysages abstraits, Isabelle Ferreira explore les relations et les passages possibles entre peinture, sculpture et architecture, planéité et spatialité. Avec ses deux images du chantier des Halles à Paris – un espace et un portrait, Thomas Guyenet retranscrit l’expérience de lieux en devenir et donne à voir, en les déplaçant, les changements qu’ils peuvent susciter. Pascal Lièvre réactive ironiquement avec deux vidéos et un dessin des éléments de langage révolutionnaire qui, ainsi recontextualisés, résonnent singulièrement dans ces murs. Benjamin Sabatier déploie trois sculptures dans lesquelles les assemblages parfois trompeurs de matériaux bruts et quotidiens évoquent la possibilité d’une appropriation par tous et d’une construction commune. Claude Lévêque, quant à lui, signe une création pour l’exposition : une installation in situ qui fait d’une chambre de logement social le lieu d’une transformation brutale, d’un souvenir ou d’une utopie.
La relation à l’espace architectural et à ses potentialités de transformation de la société, l’utilisation de matériaux quotidiens, la simplicité des gestes, constituent autant d’approches communes à ces démarches qui mettent en œuvre une forme de résistance et saisissent l’opportunité d’une exposition dans un appartement pour susciter une perturbation possible du territoire, comme le formule Isabelle Lévénez. Loin d’une figuration littérale du politique ou de l’engagement, Faire chantier interroge plus largement la possibilité d’une transformation qui s’appuierait sur l’architecture, réactivant ainsi les intentions initiales du quartier dans lesquels elle se déploie. Sa dimension in situ est donc capitale.
Le cadre de ce projet est en effet le quartier de la Maladrerie, créé à Aubervilliers par l’architecte Renée Gailhoustet entre 1975 et 1986, dans une approche fonctionnaliste caractéristique du mouvement moderne, dont l’expérimentation architecturale visait en premier lieu une transformation sociale. Formé d’un millier de logements sociaux, d’équipements de quartier et d’une cinquantaine d’ateliers d’artistes, dans une architecture triangulaire et labyrinthique offrant des échelles très diversifiées, avec des jardins à tous les étages et dans un espace urbain sans voitures, ce quartier témoigne d’une utopie radicale dont le potentiel demeure encore très sensible aujourd’hui, malgré le vieillissement des lieux.
Implanté depuis longtemps dans ce quartier, le Capa a engagé depuis trois ans une complète transformation vers un projet de centre d’art sous l’impulsion de sa nouvelle direction, tout en déployant et approfondissant des activités à l’attention des amateurs et des partenariats avec les structures locales. Sa recherche d’espaces pour ses expositions l’a conduit à proposer un partenariat à l’OPH d’Aubervilliers qui lui met à disposition des logements sociaux entre deux locations, ainsi transformés en espaces d’exposition temporaires.
Créer des expositions exigeantes et itinérantes dans une cité au contexte social aussi difficile répond à la volonté d’expérimenter de nouvelles formes, aussi bien pour les artistes que pour une population locale qui en est totalement privée. Tout en veillant à la haute exigence de son projet artistique, le CAPA implique profondément les habitants d’une manière dans le déroulement des évènements, tout en proposant un réel travail de médiation et d’inscription auprès du public. Des logiques hétérogènes cohabitent et dialoguent : les expositions se confrontent aux territoires du quotidien. Leur caractère éphémère s’adresse à tous les protagonistes des lieux, qu’ils soient habitants, artistes ou visiteurs. Elles ouvrent un espace de dialogue et de modification des rapports susceptible d’activer de nouvelles transformations des rôles et des regards.
Thierry Fournier
mars 2017
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Photographie : © Bernard Calet 2017